Var Matin 8 août 2022 – Régine MEUNIER – Les secours resteront-ils gratuits en France ?

Alors que la situation dégénère avec les incendies cet été, les secours resteront-ils gratuits en France?

Perte de vocation, difficultés de recrutement, manque de moyens, trop faible rétribution menacent les secours, alors que les interventions augmentent et que le statut des volontaires, plus nombreux que les professionnels, est remis en question par l’Europe.

Régine Meunier  Publié le 08/08/2022 à 08:00, mis à jour le 07/08/2022 à 23:46

Illustration. Photo Florian Escoffier


Le modèle français de sécurité civile est à bout de souffle. Le changement climatique avec son lot de phénomènes extrêmes – multiplication des feux de forêt, tempêtes, inondations… – sollicite de plus en plus les sapeurs-pompiers.

D’ici 2050, 50% des surfaces boisées métropolitaines pourraient être concernées par un niveau élevé d’aléa feux de forêt.

La durée des sécheresses pourrait augmenter de 5 jours par an (soit +30%) en moyenne d’ici 2.100 dans un scénario intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elles s’étendent déjà sur davantage de territoires.

De surcroît, la fermeture des services d’urgence dans les hôpitaux entraîne une augmentation des interventions et du temps qu’elles prennent.

« Je suis aux urgences à l’hôpital Sainte-Anne à Toulon. Il y a cinq ambulances devant moi. Un collègue attend déjà depuis une heure » confie un pompier.

Il ne pourra pas être disponible pour une autre intervention avant des heures.

Interventions en hausse de 30% par an

Les déserts médicaux les font intervenir de plus en plus pour des petits bobos.

« Les interventions ont augmenté de 20% sur les six premiers mois de l’année » indique le Service d’incendie et de secours du Var (SDIS 83).

Selon Guillaume Civray, pompier à Toulon et président du syndicat autonome des sapeurs pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (SASPP-PATS83), cette hausse va jusqu’à 30% par an.

« Aujourd’hui, on doit aussi remédier aux carences des ambulances privées. On amène des malades à leur rendez-vous pour une radio par exemple » raconte un autre pompier.

Parallèlement, la crise sociétale post-Covid entraîne une perte de vocation et des problèmes de recrutement, tant chez les professionnels que chez les volontaires.

Des volontaires qui sont plus nombreux que les professionnels: 4.500 dans le Var contre 920 environ. 197.100 en France contre 41.800.

La menace européenne

Pompiers professionnels et volontaires font le même travail et portent le même uniforme (photo Florian Escoffier) Photo Florian Escoffier.

Et pour compliquer encore plus la situation, l’arrêt « Matzak » de la Cour de Justice de l’Union européenne du 21 février 2018, a attribué la qualification de travailleurs aux sapeurs-pompiers volontaires.

Cette jurisprudence menace l’organisation des secours parce qu’elle établit que leurs gardes doivent être rémunérées, alors qu’ils ne perçoivent qu’une faible indemnisation, et que les heures de mission doivent être plafonnées.

Elle n’est pas encore appliquée en France mais la menace est réelle. Impossible de faire passer tous les volontaires en professionnels.

Et pourtant sans eux, le système s’écroule. Début août, le sénat plaidait pour « une loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers. »

Il demandait même au gouvernement « de retirer les moyens français mis à la disposition du mécanisme de protection civile européen » s’il ne parvenait pas à trouver une parade à cette décision juridique, aboutissement d’une démarche lancée par des pompiers volontaires belges.

Des casernes armées à 100% avec des volontaires

Professionnels et volontaires travaillent main dans la main, et sont d’accord sur un point: il n’y a pas assez de pompiers dans le Var.

Impossible de faire la distinction entre eux. Ils assurent le même travail, portent un uniforme identique, et même chez les volontaires il y a des gradés. La différence, c’est la rétribution et des revendications propres à chacun.

Dans le Var, 80% des casernes sont armées avec 100% de volontaires. C’est le cas dans les communes rurales: Gonfaron, Pignans, Barjols, Cotignac… À Ollioules, la caserne compte soixante-dix volontaires pour cinq professionnels.

Des volontaires qui assurent 85% des interventions dans le département. Leur indemnisation, défiscalisée, va de huit à douze euros l’heure.

Un pompier professionnel débute à 2.000 euros.

Des mesures d’urgence

Les secours sont le seul service gratuit en France. Il cherche à survivre aux ondes de choc du XXIe siècle.

Sébastien Jansem, président délégué de la fédération autonome des sapeurs pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA/SPP-PATS), au vu des problèmes de la profession, demande une rencontre avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Jean-Luc Decitre, président de l’union départementale des sapeurs-pompiers 83, association chargée des volontaires, vient d’envoyer un courrier aux sénateurs, députés et au président du conseil départemental du Var, expliquant que « l’État doit s’engager plus fortement aux côtés des collectivités territoriales pour maintenir, voire renforcer, la force des secours. »

Une liste des mesures d’urgences accompagne la lettre. Et parmi elles, une aide financière pour les employeurs publics ou privés qui libèrent des pompiers volontaires sur leur temps de travail pour lutter contre les incendies; un renforcement des moyens aériens; ou encore une accélération du recrutement des professionnels.

Les secours ont un coût. Jusqu’où le Département et les communes – principaux financeurs du SDIS 83 – mais aussi l’État iront-ils pour maintenir un service de qualité et gratuit?

Pour l’instant le gouvernement reste sourd aux SOS lancés bien avant que la situation ne dégénère avec les feux de cet été dans toute la France.

Des solutions devront impérativement être validées avant que le modèle de sécurité civile français ne s’effondre ou ne devienne payant!

Jean-Luc Decitre, pompier volontaire à Ollioules: « Être volontaire c’est un acte citoyen. On est investi d’un devoir. On va jusqu’au bout. » Photo Florian Escoffier.

« On combat des flammes de 40 mètres pour 8 euros l’heure »:

« Les gens demandent des secours pour une épine d’oursin dans le pied d’un enfant. Et on se déplace. 90% de nos interventions sont pour de la bobologie. On ne sort même pas de compresse. »

Composer le 112 ou le 18, c’est devenu la facilité. « Quand tout est gratuit, il y a de l’abus » estime Jean-Luc Decitre, président de l’Union départementale des sapeurs pompiers 83, association qui regroupe les volontaires.

« Depuis la crise du Covid, les gens sont plus stressés. Ils appellent pour la moindre chose. » Ils sont aussi souvent mécontents, trouvent les délais trop longs.

Facturer les interventions non urgentes?

« À un moment, il va falloir réfléchir à la notion d’intervention d’urgence, gratuite et d’intervention non urgente, éventuellement payante » interroge le mêmeJean-Luc Decitre, pompier volontaire à la caserne d’Ollioules. Un engagement qui complète sa carrière de marin-pompier à Marseille. Il porte haut et fier son grade de lieutenant. « Être volontaire c’est un acte citoyen. On est investi d’un devoir. On va jusqu’au bout. » Comme les professionnels pour lesquels il réclame des embauches.

« Les volontaires combattent des flammes de 40mètres pour 8 euros. On peut mourir. Des collègues sont morts au feu dans le Var. On peut être estropié, blessé. Aujourd’hui on a du mal à recruter. Si on ne veut pas que le volontariat s’éteigne, il faut le conforter. La difficulté du monde fait que l’argent est important. Être pompier, cela veut dire laisser sa famille le soir, le week-end, pendant les vacances. »

L’association plaide pour une augmentation des indemnités. Reste à savoir qui payera? Les contribuables varois assument déjà lourdement le fonctionnement du SDIS 83: salaires, indemnités, matériel… « Un camion c’est 250.000 euros. » Plusieurs véhicules ont plus de 25-30 ans et doivent être renouvelés.

Problème de récupération

Quand un pompier professionnel fait une garde de 12 ou 24 heures, il récupère autant dans la foulée. Pour le volontaire c’est impossible, puisqu’une fois qu’il a terminé sa garde, il doit retourner sur son lieu de travail. L’employeur de Jean-Luc Decitre, c’est la mairie de Bandol. C’est plus facile d’être libéré par une collectivité que par une entreprise privée, mais certaines refusent.

« Quand je suis intervenu sur les bus qui ont brûlé à Sanary mercredi (le 3 août, Ndlr), je suis rentré à 2 heures du matin le jeudi. Puis j’ai pris mon boulot à Bandol. C’est dur pour la vie de famille. » Dans le volontariat, il y a des patrons, des maçons, des employés, des chauffeurs… Et plus d’hommes que de femmes. « C’est presque un handicap de se présenter à un boulot et dire qu’on est pompier volontaire. »

Et pas de possibilité non plus de partir plus tôt en retraite. Jean-Luc Decitre a 43 ans de volontariat. À sa retraite, il touchera une prestation de fidélité et de reconnaissance de 2.000 euros par an. « Le don de soi, voilà sur quoi repose la sécurité civile en France. »

En chiffres

3 heures: Depuis la fermeture des urgences à Draguignan, les pompiers doivent se rendre à Fréjus. Du coup, une intervention prend trois heures au lieu de 1h30 auparavant. Et l’attente y est parfois de deux heures pour confier une personne au personnel de l’hôpital, confie un sapeur-pompier.

De 8,08 à 12,15 euros: Les indemnités horaires chez les volontaires sont de 12,15 euros pour les officiers; 9,79 euros pour les sous-officiers; 8,67 euros pour les caporaux et 8,08 euros pour les sapeurs.

66: Le Var compte 66 casernes pour 153 communes.

6 ans: Le turnover chez les volontaires est important. « On les forme et on les perd au bout de 6 ou 7 ans. Il faut pouvoir les garder plus longtemps » souligne Jean-Luc Decitre.

1.000: Le feu de Gonfaron l’an dernier a nécessité à certains moments l’intervention de plus de 1.000 pompiers par jour, Varois et renforts d’autres départements. D’où la nécessité d’une entraide interdépartementale.

Photo J. P..

Le SDIS 83 rencontre-t-il des difficultés budgétaires?

L’activité du SDIS 83 prend de plein fouet les effets des différentes crises, sanitaire, climatique, inflationniste. Cela se traduit par une augmentation de près de 500.000€ sur sa ligne carburant et de près de 2 millions sur la masse salariale, pour répondre à l’évolution de +3,5% du point d’indice des fonctionnaires, votée par l’État.

Certaines interventions pourraient-elles devenir payantes?

Pour l’instant, la question ne se pose pas. Mais cette hausse ne peut reposer uniquement sur les principaux financeurs du SDIS 83 que sont le conseil départemental et les communes, via les Établissements publics de coopération intercommunale. Sans moyens humains et financiers supplémentaires, cela va devenir très difficile dans les mois à venir.

Comment faire alors?

Le conseil départemental a réagi en augmentant d’un million sa contribution, dès le mois de juin. Elle est ainsi passée à 51 millions sur les 137 millions d’euros du budget prévisionnel. Mais il faut que l’État nous aide en prenant à sa charge l’augmentation du point d’indice et en nous exonérant de la taxe sur les carburants (1), à l’instar d’autres secteurs professionnels, comme les filières pêche ou agriculture. J’ai demandé un rendez-vous au ministre de l‘Intérieur, Gérald Darmanin. Comme pour la santé, il faut un Ségur des pompiers. Il y a urgence.

1. La Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

Selon Sébastien Jansem, pompier à Toulon, il faudrait embaucher une centaine de professionnels et conserver les volontaires. Photo Frank Muller.

« On professionnalise les volontaires à moindre coût »

« La dérive s’est organisée. Les pompiers volontaires remédient au manque de pompiers professionnels. » Sébastien Jansem est président délégué de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA/SPP-PATS). « On professionnalise les pompiers volontaires à moindre coût. Aujourd’hui la situation est telle que des volontaires commandent des professionnels. Cela crée des tensions dans certains centres. »

« Embaucher plus d’une centaine de professionnels »

Que tous les volontaires deviennent professionnels, comme le suggère l’arrêt de la Cour de Justice européenne, n’est pas non plus ce que réclame la fédération autonome.

Le budget du SDIS du Var ne le supporterait pas, pas plus que celui du conseil départemental qui est son principal financeur. « Mais embaucher plus d’une centaine de professionnels permettrait d’arrêter certaines dérives », estime Sébastien Jansem, pompier professionnel à Toulon.

Parmi elles, le fait que le temps de présence des volontaires dépasse parfois celui d’un professionnel. Ou encore que des pompiers professionnels soient en même temps volontaires sur leur temps de repos et parfois dans la même caserne.

Autant de points à corriger selon Sébastien Jansem, qui reconnaît que « dans le système actuel, on ne peut pas se passer des pompiers volontaires. »